La France, notre beau pays, est une juxtaposition étanche de deux territoires très différents : Paris et le reste.
Fruit d’un mariage mixte – mère parisienne et père provincial – j’ai la chance d’avoir la double culture. Je connais les codes, j’ai pratiqué les deux univers, je suis bilingue, quoi.
Je vis à Paris et j’y croise souvent le provincial qui vient visiter la capitale. C’est Jean-Luc. Je l’identifie au premier coup d’œil, dans le métro : il a des poils dans le nez et les oreilles, il parle trop fort, il a un gros rire gras (tout le wagon lève les yeux), il raconte un truc à Ghislaine, sa femme, en regardant son voisin pour le prendre à témoin et essayer de l’inclure dans la conversation, en vain.
Une sonnerie de portable ridicule retentit, Jean-Luc cherche son « GSM » pendant 30 secondes dans sa sacoche. Trop tard. Las, Jean-Luc n’a pas encore compris que c’était trop tard et il dit « Allô » pendant 30 autres secondes qui n’en finissent pas.
Jean-Luc et Ghislaine gloussent comme les collégiens qu’ils étaient la dernière fois qu’ils sont venus à Paris. Ils balancent des regards complices à la cantonnade quand le wagon s’immobilise dans le tunnel et glissent un bon mot à leur voisin, tentant à nouveau de fraterniser sans succès. Mais le métro repart et ils seront à l’heure au musée Grévin, heureusement. Méphistos et moustache pour monsieur, Damart et brushing bouclé serré pour madame, ils déambulent lentement, le nez en l’air sur les trottoirs bondés, en attendant leur dîner-spectacle au Moulin-Rouge ; le lendemain, ils s’enfileront un plat gras et nul dans une brasserie ringarde pour touristes et resteront deux heures à table pour ce prix-là, eh oh dis donc. Dimanche matin, ils iront au théâtre voir une opérette et taperont dans leurs mains tout l’après-midi au concert de Michel François, le chanteur préféré de Ghislaine et but ultime du voyage.
Mais laissons là Jean-Luc et Ghislaine, car le parisien qui se risque en province est encore plus marrant.
Appelons-le Marc. Marc commence à flipper dès la porte d’Orléans et panique quand il perd la fréquence de FIP. Il s’agrippe à son volant et serre les fesses sur le siège chauffant de son SUV Konar. Il rejoint des amis en Bourgogne en espérant que Waze ne le lâche pas. Il déteste la campagne, infoutu de distinguer une brebis d’une chèvre, une jonquille d’une primevère (c’est jaune, dit-il) et un marron d’une châtaigne. Dès l’arrivée, mauvaise surprise, pas de wifi dans la maison. Ni de 4G dans le jardin. Il a flingué ses richelieu en nubuck dans la boue, putain, il fait nuit noire, on n’y voit rien. Il a froid, il n’a pas pris de pull. Il passe une bonne soirée tant bien que mal, au coin du feu qu’il a mis 2 heures à allumer avec ses potes parisiens.
En revanche, il ne ferme pas l’œil de la nuit, il a peur du noir et des araignées. Il entend un bruit, c’est Freddy-les-griffes-de-la-nuit qui vient gratter à sa fenêtre. C’est une branche de rosier agitée par le vent, en fait, mais Marc préfère mourir plutôt que d’aller vérifier. Il a toujours froid (il n’a pas de pyjama) mais finit par s’endormir malgré le silence de mort qui règne dehors. Réveillé en sursaut par le coq, il va chercher des croissants à la boulangerie et s’écrie « quoi, c’est tout ?? » quand la boulangère lui demande 8€ pour 8 croissants. Il cherche désespérément les Inrocks et Télérama à la maison de la presse. Il ne trouve pas non plus la coriandre, le lait de coco et le quinoa au MiniMarket du village, qui n’a même pas de rayon bio.
Il n’y a personne dans les rues, Marc trouve ça bizarre et un peu effrayant : mais où sont les gens qu’il était pourtant venu fuir ici ? C’est intenable. Il propose d’aller au restau, mais son ami lui répond qu’il n’y a pas de restau. C’en est trop, Marc refait sa valise et abrège son séjour après avoir inventé une excuse bidon.
Sur l’autoroute qui le ramène à Paris, il s’arrête boire un café à la station service d’Auxerre-Nord. Il s’approche de la machine et attend que la personne devant lui ait récupéré son gobelet. C’est Jean-Luc, qui rentre sur Montgeron-en-Bazoches avec Ghislaine.
Jean-Luc sifflote, prend son café, se retourne et dit à Marc : « La pause s’impose, hein ? ». Marc lui grommelle une vague réponse et se dit qu’ils font chier, ces ploucs, à vouloir parler à tout le monde. Jean-Luc le salue froidement, s’éloigne et pense, lui, que les parigots, c’est vraiment tous des cons.
Ouh lala, et moi qui suis les deux à la fois ! j’suis mal en campagne, et mal à la ville, p’t être un p’tit peu trop fragile ….
Souchon, aide moi !
Bravo, Zoë, c’est ça ! Tes parents se sont reconnus ?
Bizzzz
Tu es tellement rapide que je n’ai pas encore eu leur réaction ! je t’embrasse
#TeamMarc
MDR
Super analyse, j’ai beaucoup ri.
Bravo. Je suis fan de tout ce que tu écris.
Amitiés sincères.
Bénédicte Magdelaine.
Merci Bénédicte ! gros bisous
Le petit maître corrigé. Déjà Marivaux traitait du sujet. Avec moins d’humour. Bravo Fifille.
Étant une ancienne provinciale et une ancienne parisienne, j’ai bien reconnu les deux côtés. Mais il y a pire, il y a le provincial installé à Paris et qui essaie de se faire passer pour un Parisien pure souche. Pédant et imbuvable en toutes circonstances !
Tout à fait vrai pour la porte d’Orléans ! Quand je me suis installée dans le Val-de-Marne, j’ai senti l’exotisme absolu pour certains amis parisiens de venir me rendre visite à Vitry-sur-Seine !
Excellent comme toujours , ma chère Zoé, avec notamment une pensée toute particulière pour ceux et celles qui n’habitent ni SUR Paris, ni SUR la province !
Bisettes,
Phillippe
C est comme ça que tu vois tes parents Zoé ? A Paris et en Bourgogne ?
Moi aussi j »ai bien ri. Merci pour ce rire matinal ! Bisous.
L’intelligence est de savoir s’adapter à toutes les situations. La conclusion qui s’impose alors face a ce texte réaliste, c’est que les cons sont aussi bien parisiens que provinciaux. Ils devraient donc bien s’entendre !
Tu as encore réussi à me faire rire tout seul : heureusement que je n’étais pas dans le métro
Bises et bonnes fêtes
zoé,
la fracture française ne se résume en deux pôles comme tu l’écris.
En fait, tu as 3 pôles :
– le centre ville et les banlieues chics : les bobos et ceux qui ont du fric à perdre : ils votent macron et vert
– les banlieues sous perfusion : beaucoup d’étrangers, ils ne votent pas
– le reste du pays oublié des politiques : en gros les gilets jaunes, les agriculteurs, les jeunes cadres qui n’ont pas les moyens de s’installer dans la catégorie 1 et ne veulent pas se mélanger à la catégorie 2. Vote RN de contestation
tu as raison et j’ai volontairement ignoré les banlieusards et les expat’ qui ne rentraient pas dans mon sujet du jour. Leur tour viendra peut-être.
Une vraie oasis au cœur de l’hiver, que ce texte sur la médiocrité humaine. Merci Zoé !!!
J’y voyais plutôt une métaphore sur la différence des cultures mais ravie que ça te plaise !
Des portraits et situations tellement réels qu’on en connait et reconnait forcément entre Nation et République , la Manche
et l’Atlantique….Merci Zoé pour ces moments de lecture débordante d’humour qui font du bien à la vie !! 😉 DOmi.
L’avis d’une parisienne de la haute société sur un pauvre prolo peaky blinders qui essaye juste d’apprécier la vie. C’est vraiment très intéressant.