Covid or not covid, c’est le grand soir, c’est l’AG de copro.
Monsieur Lapostolet, notre gestionnaire est là, bien sûr, mais je repère plein de nouvelles têtes dans l’assemblée. Certains copropriétaires ont déménagé, ont vendu leur appartement – si chèrement acquis, défendu, protégé, bichonné – à des nouveaux venus que nous regardons avec gourmandise. Bleu-bites ? Relous ? Mélenchonistes ?
Nous le saurons bien assez vite. On attaque avec le renouvellement du contrat du syndic – adopté – et des honoraires qui vont avec, que monsieur Lapostolet essaye de nous fourguer discrètement à l’aide d’une mention sybilline que personne ne relèvera.
Raté : Jean-Luc Duçon le stoppe dans son élan et lui demande le montant desdits honoraires. « C’est .. heu.. 3,5% du budget de l’immeuble », répond Lapostolet. « Et quel est le budget de l’immeuble ? » demande l’assemblée. Hum, Lapostolet plonge dans son dossier et nous donne le chiffre.
Nous sommes lancés ! Youpi, on l’oblige à valider un pourcentage à 2% et on passe à la question suivante.
Une petite nouvelle, mademoiselle Zoscoff, voudrait racheter les anciens WC de palier pour en faire un placard à balais privatif. « Création d’un lot nouveau affecté de x tantièmes de charges et de propriété du sol correspondant aux WC communs situés au 4e étage du bâtiment cour et cession dudit lot nouveau à mademoiselle Zoscoff au prix de 800€ ».
Un grand éclat de rire accueille cet énoncé. 800€ ? Et puis quoi encore ? 100 balles et un mars ? « ça fait 15 ans que j’essaye d’acheter ces chiottes » crie madame Marotte. « Elle se croit où, celle-là ? »
« S’il vous plait », demande monsieur Lapostolet, « asseyez-vous, on se calme, on continue ». Le brouhaha diminue, on entend encore quelques chuchotements indignés et le silence revient enfin.
Résolution suivante, travaux de réfection du local poubelles suivant devis à l’ordre du jour. « Monsieur Duroc, le président du conseil syndical, a fait établir trois devis que vous trouverez dans les annexes. » L’assemblée, sans lire le descriptif, regarde juste les chiffres en bas des devis et s’esclaffe. « Ils s’emmerdent pas les maçons, dis donc ! » « De mon temps, ça coûtait pas ce prix-là, un local poubelles ! » « Hors de question qu’on paye ce tarif de pigeon ! »
Monsieur Duroc se retourne pour faire face à tous les copropriétaires. Il fait une drôle de tête : « pour votre information, j’ai passé deux journées entières à chercher des entreprises fiables et faire deviser les travaux sur ce local qui doit être démoli et entièrement reconstruit. Je vous rappelle que je suis, comme vous, un simple copropriétaire qui offre bénévolement mon temps et mon énergie pour faciliter la vie de tous et résoudre les problèmes de chacun. Si quelqu’un ici souhaite prendre la relève et faire établir un nouveau devis qui conviendra à tout le monde, je lui laisse ma place avec grand plaisir ».
Silence de mort.
On passe au vote : les travaux sont votés, mais pas le budget. Monsieur Duroc se ré-énerve :
« OK, donc alors qui se charge de faire établir un nouveau devis moins cher ? J’attends ». Après un grand blanc, Lapostolet prend la parole et vient en aide à monsieur Duroc : « bon, on ne va pas y passer la soirée, je m’en fiche, hein, je n’y vis pas, moi, dans votre copro. Tant pis pour vous si le local s’effondre, on verra ça à la prochaine AG ».
Le budget est voté.
Mais ce que nous ne savons pas encore, c’est que monsieur Duroc a aussi passé deux jours à faire deviser la construction du local vélos dont tout le monde rêve depuis très longtemps.
Surtout Babette. Depuis 1976, elle réclame un local à vélos. Elle a lutté, râlé, organisé un lobby à grands coups d’apéros et cette année, ENFIN, la copro va faire construire un local à vélos.
Duroc a réfléchi à un abri pas trop moche, pas trop cher où un maximum de copropriétaires pourront garer leur vélo selon un planning astucieusement pensé, entre tirage au sort et abonnement pour un tarif symbolique, bref, le grand jour est arrivé. On vote. C’est adopté à l’unanimité sauf une voix.
Celle de Babette.
Duroc se lève et hurle : « tu te fous de moi ?? » Sa voisine le fait s’asseoir calmement en lui chuchotant des paroles rassurantes. En gardant un œil sur monsieur Duroc, hagard, Lapostolet enchaîne : « question 25, demande d’installation d’une caméra de surveillance sur le palier du troisième étage du bâtiment C à la demande de monsieur Tortilla. » Gonzalo Tortilla n’en démord pas, les dealers, la racaille et tous les voyous du quartier continuent à jeter leurs mégots sous la fenêtre de sa fille, à menacer son intégrité physique. Il réclame un interphone, une grille fermée et une caméra de surveillance à détecteur de mouvement.
Allez, on avance, on continue, on touche presque au but. Il fait nuit depuis longtemps, ça fait déjà trois heures qu’on suffoque sous nos masques, il ne reste plus que cette histoire de colonnes EDF au programme. « Vote du transfert définitif au réseau public de distribution d’électricité des colonnes avec effet à compter de la notification. »
« Wo ! c’est marqué où, ça ? » interrompt madame Razakatsitakatrandriana
« Dans l’ordre du jour que vous avez reçu il y a deux mois. » répond monsieur Lapostolet
« Et ça veut dire quoi ? »
« Que les câbles EDF appartiennent maintenant à EDF et que c’est EDF – pas la copro – qui devra faire des réparations à ses frais s’il faut intervenir. »
Madame Razakatsitakatrandriana hoche la tête et s’absente pour aller aux toilettes. Quand elle revient, le vote est presque bouclé.
« Vous avez voté quoi ? » elle demande à l’assemblée
« Pour, à l’unanimité »
« Alors je vote contre. »
Monsieur Lapostolet fait la grimace. Madame Razakatsitakatrandriana vote systématiquement le contraire de tout le monde, à chaque fois.
Il est 23 heures, l’AG est terminée. Je signe le PV car je suis présidente (et j’ai donc dû rester jusqu’à la fin). Les autres rentrent chez eux tous ensemble puisqu’ils ont la même adresse, évidemment.
J’entends s’éloigner dans la nuit la cohorte de tous ces infatigables emmerdeurs, bras dessus, bras dessous, alors que monsieur Duroc reste assis sur sa chaise, la tête entre les mains. Il a l’air au bout du rouleau.
On a même dû le retenir quand la grosse voix de madame Marotte a retenti, à l’extérieur : « on s’est bien marrés cette année, hein les gars ? »
Et l’année d’après, c’était reparti ! L’AG de Copro 4
GENIAL !!! On s’y croirait vraiment !
Merci à vous ! Je suis de l’autre coté de la barrière, celui qui a raté sa vie pour finir syndic. Continuez !
TENEZ BON
Génial
Je trouve que vous avez bien compris le fonctionnement des assemblées générales et les travers de la copropriété. On sent le vécu ! J’ai aussi raté ma vie, je suis syndic !
Toute ma compassion vous accompagne.
Un bon résumé réel d’une AG parisienne, haut lieu de la démocratie directe que j’ai bien connu ! Bravo pour ce texte détendant, sachant que le gestionnaire recommence cette pièce de théâtre plusieurs fois par semaine… Patrick
Bravo, ça sent le vécu… et l’humour est indispensable. Pour mes confrères : même en plaisantant, ne dites pas que vous avez raté votre vie. Je trouve davantage de réussite dans l’exercice d’un métier porteur de sens et rendant service que dans l’obtention d’une fonction juste confortable et rémunératrice. Un syndic qui a réussi (ou qui le croit)
Désolée, c’est un running gag qui dure depuis la première AG de Copro .. ! Vous avez raison, ils n’ont pas raté leur vie, les chargés de copro sont mes héros ! En revanche, le service transaction va avoir droit à un petit article gratiné un de des 4. Amitiés;
Je suis gestionnaire de copropriété : j’adore mon job hein mais les Babette & Gonzalo ils sont fatiguants quand même !
+1 pour le nom de famille malgache (je suis malgache, ça m’a bien fait rire) !
Ah ah ça me rappelle des bons souvenir d’ex-proprio parisienne !
Maintenant que mes copropriétaires sont des souris et des lapins, mon AG est vite réglée… mais je ris moins !