Denis de Saint-Dyck, notre chargé de copropriété, est un homme distingué et courtois. Il connaît notre clapier dans ses moindres recoins depuis au moins 20 ans. Le robinet de la cave auquel il ne faut pas toucher sous peine d’inonder le bâtiment F ? Il sait. Le souterrain hanté qui mène aux catacombes (cette histoire se passe dans le 14e arrondissement de Paris) ? Il l’a vu. Les 2000 clés rouillées du trousseau général ? Lui seul sait laquelle ouvre quoi.
Après un petit passage à vide qui nous a valu une année sans lui (et qui m’a coûté 10 000€, mais c’est une autre histoire), monsieur de Saint-Dyck a repris les rênes de notre copro, bête fougueuse et pourrie dont le moindre mètre carré coûte une couille, bâtie de traviole à la fin du siècle – pas le dernier, celui d’avant – mal ravalée et gangrénée de copropriétaires hargneux, véritable mafia dont le chef, Gonzalo Tortilla, s’était déjà fait remarquer par ses revendications radicales dans l’AG(2) et l’AG(3) sans toutefois obtenir gain de cause. Seulement, cette fois, attention, Gonzalo a préparé son coup et ça va saigner.
18h02 – Ça commence fort. À la question de donner quitus au syndic pour sa gestion annuelle, simple formalité d’habitude, une forêt de bras se lève, bien raides et bien droits, pour voter « contre ». Monsieur de Saint-Dyck s’en émeut légèrement sous son flegme légendaire, hausse un sourcil et nous demande ce qui motive cette défiance inhabituelle.
Je me tourne vers mes congénères et j’appuie sa demande « oui, bordel, on peut savoir ce qui se passe ? » réclame-je, car il m’apparait que nous sommes fort peu nombreux à ne pas être dans la confidence de ce putsch (nous autres, les propriétaires non-occupants sommes considérés comme des citoyens de troisième zone. Pas comme des locataires, quand même, mais presque). Les griefs pleuvent, accablants.
Denis de Saint-Dyck répond à chaque interpellation avec précision.Rien n’y fait. L’assemblée demeure inflexible et nous devrons donc convoquer une AG extraordinaire en décembre pour décider si oui ou non nous changeons de syndic. (Super, un nouvel article de blog !). Monsieur de Saint-Dyck, déjà un peu vénère intérieurement, continue néanmoins à dérouler l’ordre du jour. Il expose longuement les tenants et les aboutissants des démarches complexes et très chiantes qui nous attendent pour la mise aux normes énergétiques de notre passoire bien-aimée, sans omettre la douloureuse question des travaux qui s’ensuivront. L’assemblée décide de reporter le vote de cette question à l’année prochaine.
20h54 – Question n°12 – Les planchers hauts des caves doivent être remplacés. Ces travaux, repoussés depuis 150 ans, ne peuvent plus être ajournés sous peine d’écroulement du bâtiment principal (le devis le mieux disant est à 145 000€).
Monsieur de Saint-Dyck a mandaté un architecte, présent à l’AG depuis le début de la réunion. Il attend patiemment son tour d’intervenir, présence muette et rassurante du professionnel aguerri qui nous écoute, consterné, derrière sa poker face. Il explique les différentes phases de travaux et détaille les trois devis en concurrence, établis après plusieurs réunions de travail et une étude technique assez poussée.
Gonzalo Tortilla intervient et demande si tous les devis sont bien sur la table (il a l’air d’en douter). L’architecte répond qu’il n’a volontairement pas mentionné celui que Tortilla a demandé en douce de son côté sans en avertir le syndic car il n’est pas complet. « Il manque des éléments qui ne figuraient pas dans mon étude préalable que vous avez transmis à l’entreprise interrogée. Ce devis n’est donc pas recevable car erroné et j’ajoute à toutes fins utiles que cette manière de faire est très incorrecte ».
L’heure du conseil syndical arrive. On vote.
Denis procède au dépouillement.
Cette fin est romancée, évidemment.
Dans la vraie vie, Denis s’est levé, il nous a dit que nous étions vraiment des rigolos et que le contrat qui le liait à notre copropriété était résiliable par les deux parties.
On s’est fait virer, et sa sentence est irrévocable.
L’intégrale de ces chroniques illustrées est toujours en vente sur ma boutique en ligne.
Vous y retrouverez les 3 AG de copro précédentes et d’autres histoires encore pires.
Génial. Mais les réunions de ma copro sont pires car mon Tortilla à moi a 98 ans, autant de temps libre que de mauvaise foi, et sourd et raciste, et n’a ni email ni téléphone portable. Comme je n’ai malheureusement pas ton talent pour raconter les histoires tu devras me croire sur parole (ou venir à la prochaine AG).
ouuuuh c’est bon, ça.
Truculente plume de Zoé ou comment convertir les contrariantes heures, en équilibre instable, d’une AG dont les résolutions promettent de tracasser, sans jamais s’y soustraire, une assemblée de mécontents L’humour vu de la fenêtre du blog de Zoé, oui Propriétaire ? Non merci
Chère Zoé,
Je viens juste de vivre une AG de copro qui ressemble comme une sœur à la tienne. J’aurais dû enregister la séance, j’avais un scénario de film ou de pièce comique tout prêt…
Bizz
Marie-Laure